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21 Juillet 2025

Cameroun: Harcèlement judiciaire contre les défenseuses des droits humains et suspension arbitraire des organisations de défense des droits humains

Front Line Defenders exprime sa profonde préoccupation concernant le harcèlement judiciaire des défenseuse des droits humains Maximilienne NGO MBE et Alice NKOM, ainsi que la suspension et la fermeture en cours du siège du REDHAC, le Réseau des Défenseurs des Droits de l'Homme de l'Afrique Centrale, par les autorités camerounaises. La suspension des activités du REDHAC et la mise sous scellés de son siège à Douala par les autorités du pays depuis décembre 2024, a sévèrement limité le soutien de l'organisation aux défenseurs des droits humains. La directrice exécutive du REDHAC, Maximilienne NGO MBE, et la présidente du conseil d'administration, Alice NKOM, qui se sont opposées à la fermeture du REDHAC, sont citées à comparaître devant le tribunal le 4 août 2025 pour « bris des scellés ». Ces mesures prises par les autorités camerounaises reflètent le rétrécissement de l'espace civique et l'érosion des droits de l'homme au Cameroun ces dernières années, en particulier à travers les actions menées par le ministère de l'Administration territoriale (MINAT).

Maximilienne NGO MBE est une défenseuse des droits humains et la directrice exécutive du REDHAC. Elle a fait l’objet de menaces et de campagnes de diffamation par le passé, notamment en raison du travail du REDHAC dans les régions anglophones du Cameroun et de son engagement auprès de la communauté LGBTQI+. Alice NKOM est une avocate camerounaise et défenseuse des droits humains, avec plus de vingt ans d’expérience dans ce domaine, avec un accent particulier sur les droits LGBTQI+ et les droits des femmes. Elle est présidente du conseil d’administration du REDHAC. Le REDHAC est un réseau de défenseurs des droits humains actif dans huit pays d’Afrique centrale, basé à Douala, au Cameroun. Il représente plus de 400 membres, incluant des défenseurs des droits humains, des avocats et des journalistes, dans le but de réduire leur vulnérabilité et les risques auxquels ils sont exposés, tout en sensibilisant le public à la situation des droits humains dans la région

Après une première audience le 7 avril 2025, le tribunal de première instance de Bonanjo à Douala a tenu la deuxième audience dans l’affaire concernant les défenseuses des droits humains Alice NKOM et Maximilienne NGO MBE le 2 juin. Malgré la présence des accusées, le juge a refusé d’ouvrir la procédure, arguant que Maximilienne NGO MBE n’avait pas soumis de notification écrite à la Cour confirmant sa présence. L’audience a donc été ajournée au 4 août.

Le 6 décembre 2024, un décret du MINAT a suspendu les activités du REDHAC et de plusieurs organisations de défense des droits humains, dont l’Association Charitable Socio-Culturelle du Cameroun (ACSCC), Reach Out Cameroun (ROC), et la Fondation L.M. Nanje INC, prétendument en raison d’un financement illicite et exorbitant, incompatible avec leur profil d’activité. Selon le MINAT, leurs activités auraient également porté atteinte à l’intégrité du système financier national, et elles auraient opéré sans autorisation. Comme l’ont souligné plusieurs réseaux régionaux, ces accusations font partie d’une campagne délibérée de désinformation et sont en contradiction avec les dispositions du Groupe d’action financière du Cameroun. Outre les suspensions arbitraires, plusieurs organisations de défense des droits humains ont signalé une augmentation des menaces, de la surveillance et du harcèlement depuis la publication du décret.

Le 9 décembre 2024, les autorités locales de Douala ont fermé le siège du REDHAC. La défenseuse des droits humains Alice NKOM était présente sur les lieux, s’est opposée à la fermeture arbitraire du siège, et est entrée dans les bureaux malgré les scellés apposés.

En janvier 2025, Alice NKOM, Maximilienne NGO MBE et des membres du REDHAC ont été convoqués à la Division de la police judiciaire de Douala et dans d’autres institutions judiciaires, qui les ont accusés d’avoir violé l'article 191 du Code pénal camerounais. Cet article, relatif au bris de scellés, stipule que « quiconque brise un scellé légalement apposé sera puni d’un emprisonnement de six mois à deux ans et d’une amende de 50 000 à 500 000 francs CFA ». De plus, Alice NKOM a été convoquée par le Secrétariat d’État à la Défense à Yaoundé pour plusieurs chefs d’accusation, dont tentative d’attentat à la sûreté de l’État et financement du terrorisme.

Dans la nuit du 22 avril, des individus non identifiés se sont introduits dans le siège du REDHAC et ont volé du matériel. Bien qu’elle ait alerté les autorités, la police ne s’est pas présentée. Le personnel du REDHAC n’a pas été en mesure d’arrêter les intrus, craignant que le non-respect des scellés n’entraîne d’autres poursuites. Lors d’une seconde effraction, le 29 avril, la police a arrêté une personne, actuellement détenue au commissariat de Douala.

De même, dans la nuit du 18 au 19 janvier 2025, des individus non identifiés se sont introduits dans les bureaux de Nouveaux Droits de l’Homme (NDH-Cameroun) à Yaoundé et ont volé du matériel de travail. Dans la nuit du 1er au 2 février, NDH-Cameroun a signalé une seconde effraction ainsi que la destruction de documents et de matériel. La police et la gendarmerie ont arrêté une personne. Aucune suite n’a été donnée aux deux plaintes officielles déposées.

Le 24 mars 2025, le MINAT a envoyé une liste d’organisations à ses partenaires techniques et financiers, leur interdisant de soutenir des organisations non listées. Cette liste exclut, entre autres, le REDHAC et NDH-Cameroun. Cette mesure a suscité de sérieuses inquiétudes quant à l’abus de pouvoir administratif de la part du MINAT, car elle compromet l’État de droit et menace la capacité des défenseurs des droits humains à exercer leur travail en toute sécurité et indépendance.

Front Line Defenders condamne le harcèlement systématique des défenseurs des droits humains, ainsi que la suspension des organisations et réseaux qui les soutiennent. L’organisation appelle les autorités camerounaises à abandonner les charges pesant sur Maximilienne NGO MBE et Alice NKOM, qui font l’objet de poursuites judiciaires pour s’être opposées aux mesures arbitraires prises contre le REDHAC et pour avoir exercé leur travail légitime en faveur des droits humains. Front Line Defenders rappelle aux autorités camerounaises que les activités du REDHAC et de ses membres sont protégées par les obligations du Cameroun en vertu de la Charte des Nations Unies et de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples. Par conséquent, Front Line Defenders exhorte le ministre de l’Administration territoriale du Cameroun à revenir sur sa décision de suspendre les activités du REDHAC et des autres organisations de défense des droits humains, et à garantir que les défenseurs des droits humains au Cameroun puissent poursuivre leur travail librement, sans craindre l’intimidation ni le harcèlement.